Journal D'Ernestine : 1er septembre 1953
"Litanies des amantes maudites"
Chaque matin, la routine se répète inlassablement, comme les aiguilles d'une horloge qui marquent le temps avec une précision implacable. Même si nous sommes dimanche, aujourd’hui n'a pas fait exception à la mécanique des litanies. À sept heures, le son strident de la cloche du pensionnat nous a arrachées des bras de Morphée. Comme des ombres dociles, nous nous sommes levées en silence pour nous habiller sobrement, avec ces cheveux que nous attachons strictement sous un voile, comme l’exige Mère Supérieure à chaque fois que nous devons nous rendre à la messe.
Le trajet jusqu'à l'église est court, à peine quelques pas dans l'air frais du matin. L'édifice nous attend chaque jour comme une promesse immuable de piété. Les murs de la chapelle, recouverts de gravures saintes, semblent nous épier tandis que nous franchissions le seuil, alignées comme des soldats sur le chemin du devoir.
Je m'agenouille sur le banc dur en bois, comme toujours au même endroit, juste derrière la rangée des plus jeunes. Les mains jointes, je laisse échapper un soupir silencieux. Les premières paroles du prêtre résonnent comme un coup de tonnerre brisant le silence de la nuit, sa voix grave et monocorde s'élevant comme un murmure sacré. La cérémonie commence.
La lumière qui filtre à travers les vitraux colorés est douce, presque réconfortante, mais elle ne parvient pas à réchauffer mes os glacés. Mon corps est esclave du froid de cette discipline implacable, de cette foi imposée, de ce silence pesant qui règne en maître. Tandis que le prêtre continue son sermon, mes pensées commencent à vagabonder, s'échappant des prières répétitives, se faufilant entre les mots comme un souffle d’air chaud. Je rêve de champs ensoleillés, de rires éclatants, de robes légères qui dansent dans le vent. Mais je pense surtout à elle…
Assise juste à côté de moi, il y a Alice, avec ses cheveux blonds soigneusement attachés, sa nuque délicate exposée chaque fois qu’elle incline la tête en prière. Malgré moi, mon regard se fixe sur elle, et une chaleur étrange me submerge. C’est un sentiment interdit, un désir que je n’ose même pas nommer, un blasphème envers Dieu et tout ce qu’on m’a inculqué ici.
Je tente de chasser ces pensées, horrifiée par leur audace, mais elles reviennent encore plus fortes, comme un serpent qui se faufile dans mon esprit. Mon cœur bat plus rapidement et je sens la culpabilité m’envahir, aussi glaciale que le marbre de l’autel. Je serre les mains espérant que la douleur puisse effacer ce péché qui grandit en moi, mais Alice est juste là, et sa présence devient une tentation que je n’arrive plus à ignorer.
Une toux sèche de sœur Madeleine, qui surveille les rangs d'un œil sévère, me ramène brusquement à la réalité. Mon cœur se serre tandis que je baisse les yeux, m'efforçant de reprendre le fil des prières, consciente du moindre faux pas.
La communion approche. Le prêtre avance lentement dans l'allée centrale, distribuant l'hostie avec une gravité liturgique. Quand vient mon tour, je m'avance, les mains tendues. Le pain béni fond sur ma langue, mais je ne ressens rien d'autre qu'une vague amertume. Enfin, la messe touche à sa fin. Le "Ite, missa est" résonne comme une délivrance. Nous nous levons, dans un mouvement presque chorégraphié, et sortons de l’église en file indienne, tout aussi silencieuses que lorsque nous sommes entrées. Le jour commence à peine.