Ghosts Again

Personne n’avait osé reparler de l’histoire de fantôme d’Anabelle-Lee, contée par Alice, mais elle flottait dans l’air comme un spectre silencieux. Chacune des filles la portait dans son esprit, incapable de la chasser.

Dans la nuit du 30 au 31 octobre, après l’extinction des feux, les jeunes pensionnaires étaient censées s’endormir. Mais les yeux restaient ouverts dans l'obscurité, scrutant les moindres recoins de la pièce comme pour s'assurer qu'aucune ombre étrange n’y rôdait.

Alice, allongée sur son lit avec un sourire secret au coin des lèvres, observait ses camarades. Elle savait que son histoire avait eu l’effet escompté. Mais cette nuit, quelque chose d’autre l’inquiétait. Elle avait remarqué que le comportement de Justine avait changé depuis son récit fantomatique. Justine, d’habitude si bavarde et curieuse, restait silencieuse et évitait de croiser le regard des autres.

Lorsque tout le dortoir sembla plongé dans le sommeil, Alice se redressa doucement sur son lit et murmura :

« Justine ? Tu es encore réveillée ? »

Le silence lui répondit d'abord. Puis, après quelques secondes, la jeune demoiselle émergea lentement de sous sa couverture. Son visage était pâle, et ses yeux brillaient d'une lueur étrange dans la faible lumière lunaire qui se glissait par les fenêtres.

« Alice... » chuchota-t-elle d’une voix tremblante. « Il s’est passé quelque chose hier soir… »

Alice fronça les sourcils et se pencha un peu plus près. Les autres filles, attirées par tous ces murmures, ouvrirent également un œil, curieuses mais trop effrayées pour parler.

« De quoi tu parles ? » demanda Alice.

Justine regarda autour d’elle pour s’assurer que personne d’autre ne les entendait, mais elle savait que toutes les oreilles étaient à l’écoute. Elle prit une profonde inspiration, comme pour rassembler son courage.

« Depuis que tu as raconté ton histoire sur Anabelle-Lee, je n’arrive plus à dormir. Et j’ai… j’ai senti un courant d’air froid près de mon lit tout à l’heure. Alors je me suis levée. Je sais que je n’aurais pas dû, mais je voulais voir… si quelque chose n'allait pas. »

Les yeux d’Alice s’écarquillèrent, et elle se redressa un peu plus, captivée. « Et qu’est-ce que tu as vu ? »

La petite fille avala difficilement sa salive, ses mains tremblantes légèrement. « La porte du dortoir… elle était entrouverte. Pas beaucoup, juste un peu. J’ai pensé que c’était peut-être la surveillante qui l’avait laissée comme ça, alors je me suis approchée pour la fermer. Mais… » Elle marqua une pause, cherchant ses mots. « En m'approchant de la porte, j'ai vu quelque chose bouger dans le couloir. »

Les filles, attentives à ces propos, retenaient leur souffle.

« C’était comme une ombre, mais elle n’avait pas de forme distincte. Elle glissait contre les murs, comme si elle cherchait quelque chose. J’ai eu tellement peur que je me suis cachée derrière la porte et j’ai regardé à travers la fente. Je pensais que c'était un rêve, mais quand elle s'est approchée de la porte… j'ai vu un visage. »

« Un visage ? » souffla Alice, tout en essayant de paraître plus sceptique qu'elle ne l'était réellement.

Justine hocha la tête, les yeux écarquillés de terreur. « Oui. C’était Anabelle-Lee. Je… je l’ai reconnue à cause du portrait dans le couloir. Elle avait l’air… différente. Plus âgée, comme si elle avait passé des années enfermée quelque part, mais c’était elle. Ses yeux étaient vides, comme si elle ne pouvait plus voir. Mais elle semblait chercher quelque chose, ou quelqu’un… »

Un silence pesant s’installa dans la pièce. Les pensionnaires, même celles qui n’avaient pas encore parlé, se redressaient dans leurs lits, captivées par ces nouvelles révélations.

« Qu’est-ce que tu as fait ensuite ? » demanda Ernestine d’une voix à peine audible.

« Je… je suis restée cachée derrière la porte jusqu’à ce que l’ombre disparaisse dans l'escalier. J’ai couru me réfugier sous mes couvertures et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. » Justine serra son oreiller contre elle. « J’ai peur qu’elle revienne ce soir… »

À ce moment précis, un grincement sourd se fit entendre, faisant sursauter toutes les pensionnaires. La porte du dortoir, fermée à double tour quelques heures plus tôt, venait de s’ouvrir lentement avec un bruit sinistre. Toutes les têtes se tournèrent vers l’entrée, leurs cœurs battant à tout rompre dans leurs poitrines.

Dans l’embrasure de la porte, il n’y avait rien. Juste l’obscurité profonde du couloir qui s’étirait devant elles comme un gouffre sans fin.

Ernestine émit un petit cri et se cacha sous sa couverture, tandis qu'Alice, malgré le nœud de peur qui se formait dans son estomac, descendit lentement de son lit. « C’est sûrement juste le vent, » dit-elle à mi-voix, bien qu’elle ne croyait pas vraiment à ses propres paroles.

Mais alors qu’elle s’avançait prudemment vers la porte, Justine la retint par le bras. « Non, Alice, ne t’approche pas… »

Alice hésita, mais sa curiosité était plus forte que sa peur. Elle jeta un coup d’œil dans le couloir. Rien. Juste l’obscurité. Pourtant, quelque chose dans l’air semblait différent, comme si le Refuge tout entier retenait son souffle, attendant qu’un événement inexorable se produise.

Elle fit un pas en avant, juste un, et c’est alors qu’elle entendit un murmure. Faible, presque imperceptible, mais assez distinct pour la glacer sur place.

« Alice… »

Elle se figea, son cœur tambourinant dans ses oreilles. Elle tourna lentement la tête vers ses camarades, mais toutes les filles étaient bien trop loin pour que l’une d’elles ait pu murmurer son nom. Ce murmure… venait du couloir.

« Alice… »

Cette fois, c'était plus clair, et cela venait de l’escalier, celui qui menait au grenier.

Alice recula d’un pas, incapable de détacher son regard de l’obscurité. Elle aurait juré que quelque chose l’appelait, quelque chose qui n’était pas humain.

Soudain, une autre fille, Mina, se leva brusquement, le visage livide. « Ça suffit ! C’est trop effrayant, je vais chercher une surveillante ! »

Mais à peine avait elle fait deux pas vers la porte qu’un courant d’air glacé souffla dans la pièce, éteignant toutes les chandelles d’un seul coup. Le dortoir fut plongé dans les ténèbres les plus complètes, et un silence de plomb tomba sur les filles.

Alice sentit son estomac se nouer. Elle n’avait plus envie de jouer les courageuses. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Alors, dans un geste désespéré, elle attrapa la main de Justine, qui tremblait de peur à côté d’elle.

Et puis, tout à coup, dans l’obscurité la plus totale, elles entendirent à nouveau ce murmure, mais cette fois, il n’y avait plus de doute : il provenait du grenier, juste au-dessus d’elles.

« Venez… » chuchotait une voix spectrale, vieille et usée. « Venez me retrouver… »

Les filles, terrifiées, se recroquevillèrent dans leurs lits, espérant que cette nuit maudite finirait enfin. Mais au fond d’elle, Alice savait que quelque chose d’autre les attendait dans l’ombre. Quelque chose qui n’avait pas encore dit son dernier mot.

Et tandis que les minutes passaient, elle n’arrivait plus à se défaire de l'idée obsédante qu’Anabelle-Lee n'était pas simplement une histoire pour effrayer les enfants.